Arpentage pour tou·tes

L’arpentage est une pratique collective de lecture et donc d’apprentissage à plusieurs et autour d’un livre. C’est une méthode qui date de la fin du XIXe siècle et nous vient des cercles ouvriers. Celle-ci a été réutilisée et diffusée par les milieux d’éducation populaire à partir de la Seconde Guerre mondiale et notamment par des résistants. J’ai pour ma part pratiqué l’arpentage de manière approfondie au contact du réseau des Crefad, dont je ne peux que vous recommander l’approche et les pratiques notamment de formation et d’entraînement mental.

Il existe autant de variantes de cette pratique que de personnes et de structures qui l’utilisent mais aussi et surtout en fonction des buts recherchés et du contexte. Comme toute pratique, il me semble important de penser une forme plus légère et plus adaptée à la découverte pour toute personne qui n’y est pas familiarisée.

Vous trouverez ci-dessous une fiche méthode rédigée à partir de mes différentes expériences d’arpentage et notamment plus récemment au sein de la librairie coopérative L’établi des mots.

La méthode est introduite par un texte et l’ensemble a été pensé pour figurer dans différentes publications des éditions du commun qui se prêteraient tout particulièrement à un arpentage. Le texte introductif rappelle que ce qui nous importe c’est la diffusion des textes et des savoirs et la méthode d’arpentage ci-dessous se veut une invitation sous forme d’initiation à ce que nos expériences aillent dans les livres et que les livres nourrissent nos expériences.

Introduction pour les livres imprimés

Si vous lisez ceci c’est que vous tenez entre les mains un livre fait de papier. Nous avons fait le choix de ce format car nous savons la puissance de ce médium pour diffuser des écrits et sa résilience. Nous avons fait le choix de les vendre et d’en fixer le prix car c’est la seule manière que nous avons trouvé, dans un monde capitaliste, pour rémunérer le plus justement et dans de bonnes conditions l’équipe de salarié.es comme les auteur.ices et les personnes indépendantes avec qui nous travaillons. Mais nous avons aussi pleinement conscience des limites de ce format et sa sacralité dans le rapport à la lecture comme les limites d’un prix qui hiérarchise les accès aux œuvres. Nous avons pour habitude de dire qu’avant d’éditer des livres c’est bien le fait de rendre disponible des idées, expériences et imaginaires qui nous paraît le plus important. Et en cela il existe une multitude de manière de les propager comme de se les approprier. Pour lutter contre l’enclosure des savoirs, nous donnons déjà libre accès et gratuitement à une grande partie des œuvres que nous publions.

Il y a plusieurs manières de s’approprier des textes. On peut lire seul, intérieurement ou a voix haute, grifonner des notes, corner des pages, en faire une recension ou une fiche de lecture, en parler à un.e ami.e, le laisser trainer, en racheter pour l’offrir. Mais on peut également, le télécharger et le lire en ligne, l’imprimer pour le lire plus tard, en choisir des extraits et en fabriquer des fanzines que l’on distribue, gratuitement ou à prix libre. Il est possible d’en clamer des extraits en soirée à ses ami.es, de créer une perfomance musicale et d’en chanter des parties, d’organiser un club de lecture, d’organiser des rencontres avec ou sans l’auteur.ice, de proposer des ateliers d’écriture, d’en envisager la suite etc.

Tout est possible, tout doit être possible, plus les savoirs, les idées et les expériences sont partagées, plus il est possible de créer du lien, du commun, plus on participe à défaire le monde qui ne nous attend plus pour s’effondrer.

Ici, nous souhaitons vous présenter une forme d’appropriation d’un texte que nous aimons pratiquer, l’arpentage. Une méthode de lecture collective, issu des cultures ouvrières et réutilisé dans la résistance pendant la Seconde Guerre mondiale et aujourd’hui comme outil d’éducation populaire, qui dans un même mouvement travaille à désacraliser le livre et la lecture tout en permettant de s’approprier collectivement un propos dans lequel nous n’aurions pas forcément osé aborder seul.e. Il existe autant de méthodes et de versions que de personnes qui la pratiquent. En voici une, que nous avons expérimentée et que nous apprécions pour son format facilement transmissible.

Arpentage

Objectif :

  • Se saisir collectivement du propos d’un livre et d’échanger à son sujet.
  • Il s’agit d’une version plus courte et simplifiée de la démarche initiale et qui permet de s’initier à cette pratique et de la partager à de nouvelles personnes.

Conditions : Afin de tenir l’objectif de temps et d’initiation il est important de choisir un livre en conséquence. Un livre pas trop ardu serait idéal mais ce qui importe le plus est le nombre de pages à respecter qui correspond à une quinzaine de pages par participant.e.

Durée : 1h30

Nombre de participant.es : Entre 5 et 10

Moyens :

  • Un lieu confortable, calme, tant pour les moments de lecture individuels que pour les échanges collectifs.
  • Un exemplaire du livre.
  • Une personne garante du temps et du bon déroulé des échanges.

Déroulé : Commencer la séance par un tour de table où chacun.e donne son prénom et si il ou elle a déjà lu ce livre ou un autre de l’auteur.rice. La personne en charge du temps et du bon déroulement rappelle en quelques mots la démarche et déchire le livre en autant de parties que de participant.es. Celles-ci peuvent être distribuées aléatoirement ou à l’appréciation des personnes en fonction de leur appréhension ou non de la lecture (introduction et conclusion sont généralement plus faciles à appréhender). Cette personne présente les étapes suivantes et leurs consignes.

  • Un premier temps de lecture individuelle de 30 minutes. Ce temps est libre. Il est important de mettre à l’aise les participant.es à propos de ce que peut être ce temps : il n’est pas nécessaire de tout lire. On peut picorer, lire en diagonale, lire depuis le début et s’arrêter où on en est lorsque le temps est écoulé, prendre des notes ou pas, lister ce que l’on retient ou non, souligner les termes qu’on ne saisit pas, etc. L’idée est de prendre du plaisir et de s’imprégner à sa manière de la partie que l’on lit en se rappelant que l’on en cernera sûrement des notions dans le temps suivant.

  • Si besoin une pause de 5 minutes. Celle-ci peut aussi être intégrée en autonomie dans le temps précédent.

  • Un second temps d’échange collectif de 40 minutes. Cette étape nécessite peu d’animation, il doit toujours y avoir une personne qui veille au temps et à ce que la parole soit correctement répartie. S’assurer avant tout que toutes les personnes souhaitant s’exprimer le peuvent et que les prises de parole ne soient pas trop longues. Enfin, il s’agit aussi de s’assurer que les échanges reviennent autour du propos du livre après une digression (il y en a toujours). Pour amorcer cet échange il suffit de proposer qu’une personne commence en émettant une réaction à chaud sur sa partie. Cela peut être un terme, une idée qui l’a marquée, une question, un ressenti. Il s’agit ensuite que les autres participant.es complètent et échangent en apportant leur propre lecture et les éclairages possibles de leur partie. Sans avoir besoin de méthode plus directive que cela, la discussion doit pouvoir s’enchaîner pour faire le tour des impressions et connaissances de chacun.e. Si lecture d’une citation ou d’un extrait il y a, s’assurer que cela ne soit ni trop long ni au détriment d’une autre prise de parole sur le texte en question. Dans le but d’échanger et de converser entre participant.es il est important de privilégier l’avis et le ressenti des personnes en présence plutôt que le propos en lui-même lu.

  • Clore le moment en s’efforçant de ne pas conclure dans le sens qu’une seule personne viendrait à donner le mot de la fin ou tenter de résumer ce qu’il s’est dit. Pour cela, lorsque l’on sent que le collectif a fini d’échanger à propos du livre, il s’agit de proposer un petit temps de retour à chaud sur ce moment passé ensemble. Chacun.e leur tour les participant.es, en quelques mots, peuvent faire part de leurs impressions, par exemple sur la démarche et sur l’ouvrage.

Renouveler cet atelier sans modération et toute adaption est la bienvenue.