De ma dialectique d’acteur-chercheur #1

Culture des précédents par-ci, culture des précédents par-là… J’ai voulu m’approprier ce terme et le propager pour que d’autres aussi se l’approprient. Mission accomplie : autour de moi les gens en parle… (et heureusement) chacun avec ses mots… Ce que j’ai oublié en embarquant mes idées et tout mon travail de recherche dans ce « terme-valise » c’est que le signifiant que j’y attache est mien et qu’il ne sera jamais celui des personnes rencontrées.
Un « mot ou terme valise » sert à ne pas ré-expliquer tout le signifiant auquel il se réfère. Il sert donc, soit à avancer plus vite car ce signifiant est partagé par tous, soit au contraire à dissimuler d’« où l’on parle » et donc permettre la confusion. Dans ce deuxième cas, fait de manière volontaire cela s’appelle la manipulation (très usité par les hommes et femmes politiques avec des mots comme : laïcité, rigueur…) et fait de manière plus involontaire cela s’appelle : le cheminement d’un chercheur-acteur.

Cet texte a été rédigé dans le cadre de la recherche-action que je mène actuellement, il s’agit ici de continuer de questionner mes pratiques d’acteur-chercheur pour moi et également en vue de le transmettre à mes collègues de formation et mes formateurs afin de les tenir informés de mes questionnements et de mes avancées. C’est sur les conseils de Pascal Nicolas-Le Strat que je publie ici ce qui ressemble à mon journal de recherche.

Dans mon précédent texte témoin je faisais part, à chaud, de mon impression suite à une rencontre avec le collectif Caracolès. Impression qui s’est en partie confirmée, à froid, pendant la retranscription. Nous avions souhaité faire une rencontre autour de la thématique de la culture des précédents ; il en ressort un échange, basé sur nos conceptions individuelles de ce que peut être la culture des précédents, une discussion faite de ressentis, d’à-prioris, d’impressions tous aussi différentes que le sont les personnes présentes à cette rencontre. En tant qu’acteur qui discute avec d’autres acteurs cela me convient parfaitement. Mais en tant que chercheur, je me rends compte que ce sont des réflexions détachées de l’agir à ce sujet et donc que je ne vais tirer de cet échange que ce texte témoin et les décisions qui en découleront. Ce qui est une avancée conséquente pour le processus mais qui l’est un peu moins pour la collecte de matériaux liés à l’agir des gens rencontrés.
Le cheminement serait donc de mettre à distance ce qui m’anime en tant qu’acteur pour que le chercheur puisse tendre vers une « objectivité forte »Cette notion d’objectivité forte (strong objectivity) vient des théories du genre (gender studies) et plus précisément de Sandra Harding qui part de « l’idée que les productions scientifiques ne sont pas hors du monde social, qu’elles sont politiques ». Elle considère notamment « qu’une véritable objectivité en science implique que les positionnements politiques des scientifiques doivent être conscients et explicites quant à leur caractère historiquement et socialement situés ». Elsa Dorlin, Sexe, genre et sexualités, Paris, Presses Universitaires de France, Collection Philosophies, 2008, p. 28-29.

et ainsi pouvoir espérer produire un mémoire qui satisfera les aspirations de l’acteur-chercheur. C’est à dire, en ce qui me concerne, mettre de côté pendant cette année de collecte de matériau mon vocabulaire habituel et plus précisément ce « terme-valise ». Le faire m’a permis de me mettre réellement au travail : j’ai dû lister tout les termes et expressions que cette « valise » contenait, en chercher les définitions, les étymologies et ce qu’ils portent eux aussi comme signifiant ; et ainsi de suite jusqu’à obtenir une liste éclaircie. De ce premier travail j’ai pu aboutir à un premier guide d’entretien comprenant des questions courtes, ciblées et exhaustives qui permettront une exploitation et une analyse comparative des entretiens entre-eux. Car cette distanciation m’a permis également d’éclaircir l’orientation que je souhaite donner à mon sujet de recherche : regarder à travers différentes expériences de production de traces ce qui fait que celles-ci ne soient pas si présentes (en nombre et/ou en visibilité).
Cela me renvoie à mon travail précédent où j’ai ressenti le besoin de commencer les entretiens par un échange sur nos parcours de vie respectifs. Cela m’a permis par l’intermédiaire de ces rencontres de travailler sur mon rapport à mon propre parcours. Cela créé également un rapport différent avec les personnes rencontrées, une mise à distance moins évidente et une place plus importante accordée à l’affect et à l’empathie.
Je ne remets aucunement en question ce choix qui est lié au contexte et à ma situation de l’époque mais je le présente ici afin d’illustrer ce que je nomme ma dialectique d’acteur-chercheur. Car ce travail de recherche-action vient bien jouer chez moi sur ce curseur qui oscille constamment entre ma part de chercheur qui s’illustre notamment dans la réflexion et mise à distance que nécessite ce texte témoin et ma part d’acteur qui prend du plaisir, apprécie, chaque rencontre pour ce qu’elle a de découverte, d’interaction, de surprise et d’humain.